Avant le premier tour de l’élection présidentielle, une rumeur a bruissé : le président songeait à requérir que les dates des élections législatives soient avancées afin que, par un blitzkrieg électoral, les résultats espérés lui soient favorables. Si cette hypothèse était sérieusement envisagée, elle a été abandonnée. Et alors que le nouveau gouvernement n’est pas encore constitué, qu’une première ministre vient tout juste d’être nommée, le premier tour va se produire dans 3 semaines à peine. Si, avant le premier tour de l’élection présidentielle, les chaînes de télévision qui produisent du « débat politique » ont organisé des confrontations et des temps d’explication, les élections législatives qui se profilent ne bénéficient pas de tels programmes. La logique présidentielle du premier tour semble prévaloir à nouveau, avec une plus grande étendue encore : pas de débat. Il faut dire que, depuis le deuxième tour a établi que le président en place était réélu, nombre de médias, d’intervenants politiques, experts, font entendre une étrange musique : les élections législatives doivent donner au président élu, puisque réélu, une majorité parlementaire. Ce serait le sens, la logique, des « institutions ». L’inversion du calendrier électoral (la présidentielle en premier, les législatives en second), favorise cette interprétation de la Constitution, pourtant démentie par l’Histoire de la 5ème République elle-même : un président, élu, peut être forcé de cohabiter avec un gouvernement avec lequel il n’est pas lié, avec lequel il est confronté. Et Emmanuel Macron a bien été réélu, mais sans enthousiasme, sans plébiscite, par pis-aller – nombre des voix qui se sont portées sur lui au second tour l’ont été contre sa concurrente.
Nous avons déjà dit ici et nous le redirons à nouveau que les « sondages » des « instituts de sondage », ces entreprises privées liées à des puissances politiques et économiques, sont problématiques, en principe, par leurs principes comme par leurs « méthodes », et leurs « résultats ». Depuis le soir du second tour, ils ont donc repris leur production infernale, pour donner des projections, quitte à ce qu’elles ne soient ni sérieuses ni crédibles. Par exemple, certains ont repris les résultats du second tour, tels quels, pour les plaquer sur l’ensemble des circonscriptions : en appliquant ce principe, le résultat est d’affirmer que, « Ensemble », l’alliance qui soutient Emmanuel Macron, aurait la majorité au second tour des élections législatives. Pas de campagne électorale, pas d’évènements qui influencent les votes, pas d’évolution du rapport votants/abstentionnistes : avec de tels présupposés, Emmanuel Macron, réélu, est, en effet majoritaire. Mais il l’est dès lors que l’on fait disparaître le réel. De telles projections, avec un tel résultat, ne démontrent pas un travail de « sondage », mais la projection du désir de groupes sociaux qui ont réélu Emmanuel Macron. Mais les chiffres du premier et du second tour de l’élection présidentielle disent autre chose : Emmanuel Macron a été réélu, avec une minorité de voix, mais une minorité supérieure à celle de sa concurrente. Comme dans un 100 mètres, il suffit pour gagner d’être devant et que les autres aillent moins vite que vous. Mais ce n’est pas pour autant que vous avez gagné haut la main. Vous pouvez gagner un 100 mètres, et être un sprinter médiocre. Puisqu’il est question de désir avec celles et ceux qui prennent le leur pour réalité, avec le fait que leur président réélu obtienne bientôt une majorité électorale à l’Assemblée Nationale, il faut donc parler du désir des Français envers le président et la présidence, et de ce point de vue, la réélection d’Emmanuel Macron n’était pas, majoritairement, désirée, mais il a été réélu, en raison de la nature et des défaites de ses adversaires. Mais l’addition des voix qui se sont portées sur ceux-ci démontre cette volonté , ce rejet, contre lui.
De ce point de vue, ses deux concurrents les plus proches du premier tour ont une approche diamétralement opposée des élections législatives : Marine Le Pen considère, comme les personnes déjà évoquées ci-dessus, qu’une majorité à l’Assemblée Nationale est probable et sensée, et Jean-Luc Mélenchon qu’il n’y a ni fatalité, ni nécessité, ni profit à un tel résultat. Le Rassemblement National est donc dans une campagne atone. La NUPES, cette nouvelle alliance électorale, dite « de gauche », est la seule force qui, face à « Ensemble », fait campagne. La question de la nature de l’opposition à Emmanuel Macron est, de ce point de vue, « réglée ». Pour la NUPES, faire campagne va de soi, mais n’est pas facilitée par le fait que le nouveau gouvernement n’est pas constituée, et cette absence de, relève clairement d’une stratégie : Emmanuel Macron ne veut ni offrir des « prises », comme au judo, à cette opposition, qu’il sait active, critique, argumentée, par des ministres qui, dès leur prise de fonction, essuieraient des polémiques (en raison de leur personnalité, de leurs comportements, etc); et il préfère également que le nouveau gouvernement prenne le moins de décisions impopulaires avant le premier tour des élections législatives. En attendant, le choix qu’il a effectué en nommant Elisabeth Borne reste lourd de significations. Engagée dans les gouvernements du quinquennat qui se termine ces jours-ci, elle représente donc une continuité, et une continuité orientée vers la déconstruction des droits sociaux à minima, puisque son nom est associée à une « réforme de l’assurance-chômage » par laquelle des nouveaux critères de calcul ont rendu possible des allocations mensuelles diminuées ou supprimées.
Les autres formations, dont le résultat à l’élection présidentielle a été ou un échec ou pire encore, un recul historique, comme pour le parti de Valérie Pécresse, font peu campagne. Les Républicains ont l’avantage de pouvoir compter sur des élus locaux, à la différence de Reconquête. Le parti central de la droite il y a quelques années encore (comme le PS) va certainement ou connaître une scission, ou assister à des départs massifs, d’un côté, par des ralliements à Emmanuel Macron, et ainsi rejoindre les précurseurs que furent Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, et de l’autre, en rejoignant l’extrême-droite. Mais ces éloignements pourraient bien être provisoires, si, en fonction des résultats des élections législatives, Emmanuel Macron mettait en place une majorité de droite et d’extrême-droite. Pour l’instant, la NUPES semble avoir le vent en poupe, mais si elle n’atteint pas, ne dépasse pas, les 289 députés, la probabilité d’une telle alliance électorale augmenterait.