
RID : Quels sont les motifs exacts de la plainte, et comment peut-on qualifier les requérants ? Faut-il dire « la famille » de Samuel Paty, ou une partie de la famille, puisque nous avons appris que son ex femme n’est pas d’accord avec cette démarche ?
Virginie Le Roy (VLR) : Nous avons adressé une plainte auprès Procureur de Paris, des chefs de non-empêchement de crime et de non-assistance à personne en péril, prévus et réprimés par l’article 223-6 du Code Pénal, lequel stipule : «Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans ». Nous sommes tributaires du parquet pendant 3 mois. Est-ce que le Parquet va se saisir lui-même ? Est-ce que le Parquet va désigner un juge d’instruction ? Si ce n’est pas le cas, dans trois mois, on avisera pour le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile. C’est un dossier qui mérite une instruction. En effet, son ex épouse a un positionnement qui lui appartient. Tout le reste de sa famille a déposé plainte : ses parents, ses soeurs, ses beaux-frères, ses neveux et nièces, soit 10 personnes.
RID : Pourquoi les requérants ont-ils attendu pour déposer cette plainte ? On conçoit qu’ils aient eu besoin d’étudier les faits, qu’ils avaient besoin de temps pour se décider, qu’ils aient eu des difficultés à se décider sur différents sujets, comme l’identité de leur conseil juridique…
VLR : Il n’y a jamais eu d’indécision de leur part. La conviction qu’il y avait eu des dysfonctionnements est apparu très tôt dans le dossier. Cela fait 18 mois que l’on essaye de récupérer des pièces auprès des Ministères, on en a eu au compte-gouttes. Il a fallu insister, être persévérant. La plainte fait 80 pages. Il était hors de question pour mes clients de déposer plainte à la légère. C’est une vraie demande de vérité, de réponses, et elle comprend suffisamment d’éléments à notre sens, qui méritent des réponses, et ce sont des questionnements sérieux et motivés. C’est une démarche construite, sérieuse, qui prend du temps. Elle a été déposée quand elle a été prête. Il n’était pas question de retenir un acte judiciaire au vu d’un calendrier électoral, quel qu’il soit. Notre positionnement est judiciaire, de donner un sens à l’innommable. Quand vous êtes victime de terrorisme, vous êtes marqué à vie. Donner un sens à tout cela, est un geste humain, de reconstruction, et de se dire que on ne veut jamais que personne d’autre vive ce que l’on est en train de vivre, de lutter contre cette idéologie terroriste. Il s’agit de savoir et de prévenir.
RID : L’assassinat de Samuel Paty a été d’une violence physique et symbolique terrible. Comment vont ces femmes et hommes, de la famille de Samuel Paty ? D’autant que l’on a appris que, en Tchétchénie, des hommages ont été rendus à l’assassin…
VLR : C’est évidemment très choquant, Anzorov a été accueilli comme un héros national, alors qu’il n’a été qu’un assassin terroriste. mes clients vont comme ils peuvent aller. Au-delà de la tristesse, du deuil, ce type d’action les fait avancer, en donnant un sens à tout cela. Anzorov était radicalisé. il n’y a rien qui justifie qu’un homme se fasse décapiter dans la rue.
RID : Pour qu’elles se décident à vous demander de présenter pour eux une telle plainte, il a donc fallu qu’elles étudient les faits qui ont conditionné l’assassinat de Samuel Paty. De notre côté, nous avons publié récemment plusieurs articles à propos de cet engrenage fatal. Il leur est donc apparu qu’il y avait des possibilités/obligations d’action qui ont été ignorées, de la part de l’une des 4 administrations en cause (Rectorat de l’Education Nationale, Police locale, Renseignement Intérieur, Police au plus haut niveau). Votre plainte cible donc précisément des fautes et des personnes, pour des non-actions. Que, qui, mettez-vous en cause précisément ?
VLR : Chaque action en fait aurait permis de mettre en place un dispositif, d’éloignement ou de protection, aurait permis d’éviter l’attentat. Même une faute qui peut paraître minime peut en fait être très grave. Chaque entité avait le moyen d’agir. Que cela soit au niveau du Rectorat, du RT78, de la DGSI, toutes ces entités disposaient des moyens, mis en place par la loi, par les règlements, par les organes de l’Etat, pour agir, pour demander des protections et cela n’a pas été fait. Il a été demandé d’activer ces entités de protection, et il n’y a pas eu de réponse, notamment au niveau du Rectorat, avec l’équipe mobile de sécurité. C’est une équipe qui est destinée à gérer les situations de crise, à venir sur place pour jauger d’un niveau de danger, de la nature du danger, et cela n’a pas été fait. Au niveau ministériel, de l’Education Nationale, il y a eu une alerte de niveau 4, le plus fort niveau d’alerte, qui a été transmise à la CMVA, le 9 octobre, et cette cellule n’a jamais répondu, ne s’est jamais saisie de cette alerte. A différents niveaux, et dans différents services, il y a des questions graves, structurantes, qui se posent. Et il faut prendre en compte le contexte. C’est le coeur de métier des services de police spécialisés, de renseignement, de la DGSI et de certaines entités de l’Education Nationale qui sont formées. On est dans un contexte « écarlate », tous les acteurs sont sensibilisés à cela, en ouverture du procès de Charlie-Hebdo, republication des caricatures, quatre menaces d’entités terroristes qui visent expressément les caricatures du Prophète et la France, l’assassinat de la rue Appert 15 jours plus tôt, les organes formés et spécialisés n’ont pas pu ignorer que la situation était extrêmement sensible. On a très vite dans le dossier des islamistes radicaux qui s’en saisissent, et le nom de Samuel circule sur les réseaux sociaux, avec sa localisation. A partir du moment où vous avez tant d’éléments, il paraît difficile d’expliquer pourquoi on a rien fait. C’est pourquoi nous avons engagé une démarche au pénal, et pas devant le Tribunal Administratif. Le but est bien de viser des fautes déterminées, parce qu’il faut donner de la substance à cette responsabilité, et on ne peut pas déclencher cette prise de conscience avec une action en responsabilité devant le Tribunal Administratif.
RID : Avant de déposer cette plainte, vous avez sollicité les Ministères, de l’Education et de l’Intérieur, par des questions précises. A ce jour, avez-vous reçu une réponse, des réponses ?
VLR : Oui, à ce jour, je n’ai toujours pas de réponse, et je pense que je n’en aurai pas.
RID : La principale du collège a perçu la gravité des menaces qui visaient Samuel Paty. Elle a même considéré que Samuel Paty devait être raccompagné chez lui. Savez-vous pourquoi il n’en fut rien le jour fatal ? Est-ce que Samuel Paty, après avoir été très inquiet, était rassuré ?
VLR : Non, pas du tout. La dernière semaine, c’était la plus difficile. Cela va crescendo. Pourquoi n’est-il pas raccompagné le vendredi ? Je ne sais pas. Je n’ose pas imaginer une seconde que les personnes qui ont été au plus près des faits ne soient pas interrogés dans le cadre de la plainte.
RID : Samuel Paty a été un étudiant en Histoire, avant d’être un professeur. Son mémoire de maitrise, original, a été publié. Puisque vous avez une connaissance profonde de l’affaire, par le dossier que vous portez, quel portrait avez-vous de Samuel Paty ?
VLR : Je pense qu’on peut le décrire comme un humaniste, un homme ouvert, tolérant. Il avait demandé que ses parents lui rapportent le Coran pour pouvoir le lire. Il était animé par une soif de connaissances. Ce n’était pas la bonne cible. Idéologiquement, ce n’était pas une menace pour la religion. Il était un professeur qui avait à cœur son métier, qui avait à coeur de donner les outils à ses élèves pour qu’ils puissent grandir tout seuls.
RID : Il y a eu des intentions, publiques, de nommer des lieux publics, avec les prénom et nom, de Samuel Paty. Mais on n’a pas l’impression que cela n’avance pas.
VLR : Les Rectorats ont le plus la responsabilité sur ce sujet. Il y a beaucoup de Rectorats qui s’en sont saisis. Je reçois beaucoup de demandes, de l’école maternelle, jusqu’aux amphithéâtres d’Université, beaucoup le font. On parle surtout là où cela coince, avec des polémiques sur le sujet, mais il y en a beaucoup avec de jolis hommages.
RID : Pour un attentat qui s’est produit en France, votre cabinet est le premier à engager une action juridique contre l’Etat. Il y a eu les attentats de Charlie-Hebdo, du Bataclan, de Nice. Pour ces attentats qui ont provoqué un très grand nombre de victimes, une action pénale ne se justifiait-elle pas également ?
VLR : Pour l’attentat de Nice, il y a une plainte au pénal contre l’Etat. Une instruction est en cours, pour « mise en danger d’autrui », pour « inobservation d’une règle de prudence ou de sécurité particulière ». On sait qu’il n’y avait aucun dispositif sur la promenade des Anglais : pas de policiers, pas de plots en béton. Toutes les règles de sécurité qui avaient été mises en place sur la fan zone pour l’Euro de Football 15 jours auparavant n’étaient pas sur la promenade. L’instruction est en cours sur ces sujets. Nous attendons. (NDLR : le Cabinet Résonances a mis en ligne une page spéciale, avec des actualisations, à l’attention de toutes les personnes qui ont été victimes, directement ou indirectement, de cet attentat).
Quelques extraits de la plainte (publiés avec l’autorisation du Cabinet Résonances) :
- « Les faits exposés ci-après sont susceptibles de revêtir des qualifications pénales, notamment celles de non-empêchement de crime et de non-assistance à personne en péril, prévues et réprimées par l’article 223-6 du Code Pénal : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans ».
- Le dimanche 11 octobre 2020, une seconde vidéo intitulée « l’islam et le prophète sont insultés dans un collège public, le vrai séparatisme », était diffusée sur la chaîne YouTube « musulmanstoutsimplement » d’Abdelhakim SEFRIOUI. En introduction, Abdelhakim SEFRIOUI : – expliquait qu’un «abject » avait eu lieu au collège, ce terme apparait dans le Coran à la Sourate 2 verset 65 : Dieu punit les juifs en les transformant en animaux parce qu’ils ont transgressé le Sabbat. L’abjection apparait alors comme ce qui heurte le plus sacré, – faisait référence au discours d’Emmanuel Macron : « (…) la réponse d’un voyou enseignant à cet appel de Monsieur le Président de la République à haïr les musulmans à combattre les musulmans, à stigmatiser les musulmans ». Abdelhakim SEFRIOUI affirmait ensuite que ce « voyou » agissait de la sorte depuis 5 ou 6 ans :
« Des enfants de 13 ans, des musulmans, sont choqués, sont agressés, sont humiliés, devant leurs camarades, parce que c’est ce qu’ils nous ont dit. Mais ça ne pose aucun problème ». - Le vendredi 9 octobre 2020 : « Après les cours, craignant un risque de manifestation devant le collège, la principale ne veut pas que Samuel PATY rentre seul, à pieds, chez lui. Elle cherche à le contacter, il n’est plus présent au collège, ne répond pas au téléphone. Inquiète, la principale décide de se rendre à son domicile. Elle rencontre le professeur d’histoire-géographie avec lequel Samuel PATY avait parlé de son cours et lui fait part de son inquiétude. Le professeur propose de l’accompagner. » (p.12) Le vendredi 9 octobre 2020, la Principale et ce professeur avaient des craintes extrêmement fortes concernant la sécurité et l’intégrité physique de Samuel PATY. Le fait que la principale s’inquiétait de son absence de réponse indiquait qu’elle envisageait qu’il ait pu subir des violences graves. Elle décidait d’adopter un comportement très inhabituel en se rendant à son domicile.
- Le parcours d’Abdullakh ANZOROV entre le 12 juillet 2020 et le 8 octobre 2020. Le 12 juillet 2020, les publications du compte Twitter d’Abdullakh ANZOROV, « @tchetchene_270 », étaient signalés à PHAROS, elles démontraient l’idéologie radicale de son auteur puisqu’il s’agissait : – d’un appel à la destruction de la CHINE en représailles à la persécution du peuple ouïghour, du Président ERDOGAN pour sa participation à la lutte contre l’État Islamique en SYRIE, et des tchétchènes qui ne vivent pas sous la charia et se soumettent à l’occupant russe, – de dire son admiration à l’insurrection armée talibane, Abdullakh ANZOROV appelant de ses vœux la victoire de l’Emirat islamique afghan et le retour de la charia. En d’autres termes, @Tchetchene_270 faisait l’apologie :
- – des principaux groupes terroristes islamistes sunnites (Etat Islamique et Al Qaeda),
- – de la charia et de l’islam radical,
- – de l’action violente au nom de l’Islam. Par ailleurs plusieurs publications publiques antérieures au signalement du 12 juillet 2020 confirmaient la radicalisation violente d’Abdullakh ANZOROV, puisqu’il : – qualifiait de «chiennes» les femmes non soumises aux hommes et aux préceptes coraniques traditionnalistes,
- – faisait l’éloge des terroristes rejoignant les rangs de l’État islamique ou d’Al Qaeda,
- – menaçait d’égorger des blasphémateurs. Postérieurement aux signalements, le suivi du compte Twitter @Tchetchene_270 aurait permis de constater, en source ouverte, que son auteur : – prenait la défense d’Oussama Ben Laden (le 2 août 2020), – faisait des chiites les principaux ennemis des sunnites (le 4 août 2020), – faisait l’apologie du terrorisme et tenait des propos antisémites (le 15 août 2020), – faisait l’apologie des kamikazes (le 28 août 2020), – publiait une scène fictive de décapitation (le 30 août 2020), – qualifiait les lois sur le séparatisme de guerre contre l’islam (le 10 septembre 2020). Surtout, le 25 septembre 2020, @tchetchene_270 publiait une capture d’écran d’une vidéo d’un homme parodiant la prière de l’islam, et demandait l’adresse et les coordonnées du blasphémateur. Abdullakh ANZOROV était donc publiquement à la recherche de cibles.
- En conséquence, le délit de non-assistance à personne en péril apparaît constitué dès lors que : – dès le 9 octobre 2020, M. X et Mme Y (1) avaient pleinement conscience du péril qui menaçait la vie de Samuel PATY, et se sont abstenus d’agir jusqu’au 12 octobre 2020, – le 12 octobre 2020, la production de la note de renseignement qu’ils ont soit rédigée personnellement, soit corrigée et validée en tant que superviseurs, démontre leur abstention de prise en compte et d’exploitation des informations à leur disposition, leur abstention d’investigations complémentaires qui s’imposaient eu égard à ces informations, et leur erreur manifeste d’évaluation de la gravité du péril, – après le 12 octobre 2020, alors qu’ils ne pouvaient se méprendre quant à l’aggravation du péril qui visait Samuel PATY, M.X et Mme Y se sont abstenus de toutes nouvelles investigations et évaluations de la situation et n’ont pris aucune des mesures qui s’imposaient pour conjurer le péril qui menaçait la vie de Samuel PATY. Ils n’ont communiqué aucune nouvelle information à leur hiérarchie (SCRT et DGSI) sur la situation alors que l’imposait leur devoir de compte rendu. Ces éléments qui caractérisent des fautes graves aux devoirs de discernement et d’obéissance hiérarchique qui s’imposent à eux, caractérisent l’anormalité de leur comportement face à une telle situation de péril et par conséquent leur abstention délibérée d’agir pour combattre le péril qui a finalement coûté la vie à Samuel PATY.
- (1) NDLR : dans la plainte dont nous avons pris connaissance, le Cabinet Résonances nomme les deux fonctionnaires concernés. Pour diverses raisons, nous n’avons pas voulu les citer ici, parce qu’il n’est pas dans notre propos de les désigner à une quelconque vindicte (ce que le Cabinet Résonances ne fait pas, mais on sait que le partage de prénoms et noms sur Internet peut susciter un danger, ce que, précisément, l’assassinat de Samuel Paty a tragiquement démontré), et ce parce que nous pensons qu’il y aura un procès, et que dès lors, la Justice française les interrogera et décidera de ses conclusions.
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Quelques commentaires de la rédaction sur l’affaire Samuel Paty et cette démarche juridico-politique de la famille de Samuel Paty :
Cet entretien avec Maître Virginie Le Roy (le premier pour notre rédaction, et nous la remercions ici de nous avoir permis de commencer ce travail avec elle), intervient après la parution de nos premiers articles sur cet assassinat. Nous avons fait connaître à Maître Le Roy ces publications et elle a pu constater que notre travail d’attention et d’analyse à tous les faits dont nous avions la connaissance nous avait conduisait à des conclusions similaires à celles qui ont fondé l’intention et la nécessité de s’adresser au Procureur de la République de Paris, à savoir que ce drame ne reposait pas sur un enchaînements de faits, d’actions, de circonstances, « fatals » (si l’on traduit : rien n’aurait pu être fait parce que nous avons eu de la « malchance »), mais qu’il y avait, au contraire, des actions-inactions dont la conséquence finale a été de permettre à l’assassin de Samuel Paty d’agir librement et aisément. La plainte invoque donc des principes juridiques français : le délit d’omission de porter assistance à personne en péril, ce que la plainte explique immédiatement :
« Le délit d’omission de porter secours sanctionne le manquement grave et délibéré au « devoir d’humanité » qui pèse sur chacun : « Qu’en effet, si la loi oblige celui qui est en état de le faire à prêter assistance à une personne en péril, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours, elle n’a pas entendu, en formulant cette alternative, lui laisser une option arbitraire entre deux modes d’assistance dont l’efficacité, selon la nature et les circonstances du péril, peut être bien différente ; qu’elle lui fait au contraire un devoir d’intervenir par celui-là même de ces deux modes que la nécessité commande, et même, s’il le faut, par leur emploi cumulatif, fût-il même démontré que le secours commandé par le devoir d’humanité dût être, en définitive, inefficace ». Cass. crim., 13 mars 2007, n° 06-86.210 C’est donc l’indifférence de l’auteur à la vie de la victime, lorsqu’il a délibérément refusé de mettre en œuvre les moyens à sa disposition qui aurait pu permettre de lui porter secours, qui est sanctionnée.«
Le critère déterminant pour évaluer ces actions-inactions, est la « conscience du péril ». La plainte accumule les éléments qui attestent que les personnes nommément mises en cause, en disposaient, et, étant donné leur nature, étant donné leurs responsabilités officielles, leur expérience, leurs supposées « compétences », devaient donc faire l’hypothèse d’un grave danger, et en tirer les conséquences qui s’imposaient. Si l’assaillant n’avait pas existé, ces personnes auraient donc protégé un fonctionnaire « pour rien », mais ce principe de prudence, mis en oeuvre par des mesures concrètes de protection, s’imposait par la seule existence d’un risque, possible, probable. Et dès lors, étant donné que l’assaillant a bien existé, cette force de protection aurait pu l’empêcher d’atteindre son objectif. Samuel Paty serait vivant, et le candidat au crime aurait été ou arrêté et emprisonné ou tué.
Nous parlons ici d’une démarche juridico-politique, puisqu’il y a une action juridique qui, par ses présupposés sur cette tragédie (les moyens de sécurité et leur gestion), comme par ses conséquences (l’interprétation des risques/dangers publics, notamment terroristes, la nature des moyens de sécurité, leur gestion, par une nouvelle politique générale), est « politique », au sens où elle nous concerne tous, et qu’elle interpelle le « pouvoir », politico-administratif. Par ce terme, il ne s’agit donc pas de viser une « démarche politicienne ». Une question que le Cabinet Résonances ne pose pas, parce que cela ne peut être énoncé de sa part dans le cadre d’une telle plainte, mais que, nous, nous pouvons poser, c’est celle de la responsabilité politique. En effet, il y a une « logique de la responsabilité » dans des Etats comme l’Etat français : plus on est haut dans la hiérarchie des décisions, de la gestion des moyens publics, et plus on est « responsable » (sauf, selon la Constitution française, le Président de la République…)
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