Des 10 années qui ont précédé le 11 septembre 2001, nous avons proposé une synthèse-bilan, dans notre publication précédente. Nous avons rappelé que les Etats-Unis, qui menait une partie d’échecs face à l’URSS, se sont retrouvés en quelques mois, sans adversaire : la guerre froide était gagnée. De facto placées en situation d’hyper-puissance, cet Etat fédéral semblait désorienté, frappé par l’ivresse d’une victoire qui impliquait une domination mondiale jamais vue depuis l’Empire Romain. Un ancien allié de la guerre contre l’URSS en Afghanistan, Oussama Ben Laden, membre de « l’aristocratie » des familles saoudiennes/yéménites, a décidé de retourner sa veste, et d’inciter ses partisans à s’attaquer aux Etats-Unis, dès lors que ceux-ci étaient le bras armé de l’Arabie Saoudite, véritable cible du chef de la toute nouvelle Al-Qaeda. Les Etats-Unis ont appris dans ces années, que l’ordre de guerre énoncé par Oussama Ben Laden contre eux, n’était pas une fiction, ni un propos superficiel : des adeptes du chef d’Al-Qaeda frappaient, en 1998, deux ambassades américaines en Afrique (Dar es salam, Nairobi) et, en 2000, un navire de la marine militaire qui était au mouillage à Aden (Yemen). Les Etats-Unis étaient le pays, et ils le sont encore, qui disposaient du plus grand réseau d’information, tant par des sources humaines que par des moyens électroniques, sur terre, sur mer, comme en orbite. A Washington, comme à New-York, et dans d’autres grandes villes du pays, des centres de traitement de ces informations travaillent chaque jour, en s’appuyant sur des moyens informatiques, des moyens humains plutôt pléthoriques. Le traitement de ces informations est effectuée par des administrations : pour l’ensemble des faits internes au territoire des Etats-Unis, le Federal Bureau of Investigation, a l’autorité et les compétences; pour l’ensemble des faits externes au territoire; la CIA est chargée des opérations extérieures (ce qui, en droit international, est illégal); et la NSA est, discrètement, devenue au fur et à mesure des décennies, tout aussi puissante que les deux autres agences, et, selon certaines caractéristiques, même plus puissante qu’elles. Dans les années qui ont précédé le 11 septembre 2001, nombre de ces agences ont collecté, chacune de leur côté, de nombreuses informations importantes, mais par une logique communautaire type, contraire à l’intérêt général des Etats-Unis, ont peu partagées ces informations avec leurs collègues des autres agences. Les enquêtes officielles sur les évènements du 11 septembre 2001 ont clairement établi qu’il y a même eu des dissimulations volontaires. Ces choix, actes, auraient pu être interprétés comme des trahisons et leurs auteurs auraient pu être poursuivies, comme dans le cas d’Alfreda Frances Bikowsky (à laquelle nous consacrons notre prochaine publication). Mais dans un système politique et juridique prompt à poursuivre toute « faute », contravention à une loi, aucun des responsables de ces actes de dissimulation n’a été ni poursuivi ni condamné.
La vie et la mort de John O’Neill illustre parfaitement cette « logique », irrationnelle, de la part d’agents officiels de l’Etat fédéral américain : ne pas partager leurs informations et, ainsi, faciliter les préparations et les actions des criminels du 11 septembre 2001. En 1970, John O’Neill est entré au FBI, pour y assurer des missions mineures, pour, à la fois, servir de guide touristique pour le site du FBI à Washington et enregistrer des empreintes digitales. 6 ans plus tard, il devenait, comme il le rêvait depuis longtemps, « agent spécial ». Dans les années 90, il intègre un service dédié à l’antiterrorisme, dont il prend la tête en 1995. En 1993, il a travaillé sur l’attentat à la bombe contre le World Trade Center. En 1997, il doit déménager à New-York pour intégrer la division de la sécurité nationale. Dans la foulée de son intégration à ce service, des attentats se produisent : en 1996 contre les tours Khobar en Arabie saoudite, en 1998, contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, l’attentat à la bombe de 2000 contre l’USS Cole au Yémen. Les témoignages de ces collègues, des diplomates et officiels français qu’il a rencontré lors de ses passages à Paris, confirment qu’il était conscient qu’Al-Qaeda voulait continuer à frapper les Etats-Unis et à un niveau supérieur. Lors d’un débat public à l’occasion d’un forum, le forum sur la stratégie nationale (à Chicago), il avoue qu’il » (…) pense que des temps intéressants nous attendent. En tant que citoyens, nous serons certainement mis au défi. Je sais que le FBI continuera à être mis au défi dans les années à venir. Malheureusement, je ne peux pas prédire qu’aucun Américain ne sera blessé ou tué à la suite d’une attaque terroriste. » Avec une telle carrière, un tel profil d’agent aurait dû terminer sa carrière au FBI, en accédant aux plus hautes responsabilités, mais entre 1999 et 2000, il s’attire les inimitiés de personnages politiques et administratifs influents, avec lesquels il ne sait pas dialoguer, nouer des relations. Il n’est pas promu, et le FBI l’incite même à partir, en finissant sa carrière dans le privé, avec l’avantage d’être mieux rémunéré. Bien qu’il ait géré avec efficacité les rassemblements publics à New-York pour le passage à l’an 2000, il accepte la proposition de devenir le chef de la sécurité du World Trade Center. Il fête sa retraite le 22 août 2001. Fin août, il rencontre un producteur d’ABC News, Chris Isham, qui est un de ses amis. Celui-ci lui dit : « au moins, ils ne vont pas le bombarder à nouveau ». John O’Neill lui répond, sérieusement : « Ils vont sûrement essayer de finir le travail. ». Le jour du 11 septembre 2001, O’Neill se trouve dans son bureau de la Tour Sud, au 34ème étage. Un avion civil est projeté sur la Tour Nord. Chef de la sécurité, il s’occupe d’aider à l’évacuation des tours. Il prend le temps d’appeler sa compagne et un de ses enfants. Et puis il disparaît dans une tour, alors que celle-ci s’effondre. Son cadavre est retrouvé.
Ci-dessous, une émission américaine consacrée à John O’Neill.
Contenu du rapport déposé sur le bureau de Georges W. Bush début août 2001 par la CIA :
Des informations émanant de sources clandestines, de gouvernements étrangers et de médias laissent entendre que Ben Laden, depuis 1997, veut commettre des attentats terroristes aux États-Unis. Ben Laden a sous-entendu, dans des interviews à des chaînes américaines en 1997 et 1998, que ses partisans suivraient l’exemple de Ramzi Youssef, auteur de l’attentat contre le World Trade Center, en 1993, et porteraient le combat aux États-Unis. Après les tirs de missiles états-uniens contre sa base en Afghanistan en 1998, Ben Laden a déclaré à ses partisans qu’il entendait riposter à Washington, d’après (…). Un agent du Djihad islamique égyptien a déclaré à (…) au même moment que Ben Laden cherchait à exploiter l’accès aux États-Unis pour mettre sur pied un attentat terroriste.
Le complot relatif aux fêtes du nouveau millénaire, en 1999 au Canada, pourrait avoir constitué la première tentative sérieuse de Ben Laden de commettre un attentat terroriste aux États-Unis. Ahmed Ressam, reconnu coupable de complot, a déclaré au FBI avoir formé le projet d’attaquer l’aéroport international de Los Angeles, ajoutant qu’Abou Zoubeida, lieutenant de Ben Laden, l’avait encouragé dans cette voie en l’aidant à monter l’opération. Ressam a également déclaré qu’en 1998, Abou Zoubeida préparait son propre attentat aux États-Unis. Ressam dit que Ben Laden était informé de l’opération visant Los Angeles.
Bien que Ben Laden n’ait pas réussi, ses attentats contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie en 1998 montrent qu’il prépare ses opérations des années à l’avance et que les revers ne le font pas reculer. Des collaborateurs de Ben Laden surveillaient nos ambassades à Nairobi et à Dar es-Salaam dès 1993, et certains membres de la cellule de Nairobi préparant les attentats ont été arrêtés et expulsés en 1997.
Des membres d’Al-Qaïda, au nombre desquels des personnes ayant la nationalité états-unienne, séjournent ou se sont rendus aux États-Unis, depuis des années, et le groupe semble maintenir une structure logistique qui pourrait contribuer à des attentats. Deux membres d’Al-Qaïda, reconnus coupables dans le complot visant nos ambassades en Afrique de l’Est, avaient la nationalité états-unienne, et un membre influent du Djihad islamique égyptien a vécu en Californie au milieu des années 1990. Une source clandestine avait dit en 1998 qu’une cellule de Ben Laden recrutait à New York des jeunes Américains musulmans, dans le but de commettre des attentats.
Nous n’avons pas été en mesure de corroborer certaines des informations les plus sensationnelles sur des menaces, comme celle émanant de (…) en 1998, disant que Ben Laden voulait détourner un avion américain pour obtenir la libération du « cheikh aveugle » Omar Abdel-Rahman et d’autres extrémistes en détention aux États-Unis. Néanmoins, les renseignements du FBI depuis lors traduisent des types d’activités suspectes dans notre pays, qui vont dans le sens de préparatifs pour des détournements d’avions ou d’autres types d’attaques, dont la surveillance récente de bâtiments fédéraux à New York.
Le FBI conduit approximativement 70 enquêtes sur le terrain, à travers les États-Unis, relatives à Ben Laden. La CIA et le FBI enquêtent sur un appel reçu par notre ambassade aux Émirats arabes unis en mai, disant qu’un groupe de partisans de Ben Laden se trouvent aux États-Unis où ils préparent des attentats à l’explosif.
A propos de la série « The Looming Tower », consacrée à ces années pré 11 septembre 2001.