Comme nous l’avons dit sur ce sujet en amont de cette parution d’aujourd’hui, la guerre russo-ukrainienne, parce qu’il s’agit d’une guerre, donc d’un chaos humain, parce qu’elle associe tellement d’Etats à ses faits et à ses justifications ou critiques, parce que les médias qui en parlent sont rarement, sérieux, complets, factuels, il n’était pas possible, en l’état actuel des moyens de notre rédaction, d’avoir plusieurs reporters sur place, dans l’ensemble des zones importantes, d’avoir plusieurs reporters sur place dont la sécurité serait garantie, dont l’indépendance le serait tout autant. Et de ce que nous observons, la seule différence qui existe entre nous et des « grands médias » réside dans l’existence et le nombre de « reporters de terrain ». Mais la sécurité est difficilement garantie, et l’indépendance, elle, est même totalement niée. Par exemple, il n’est pas possible à un reporter de réaliser un reportage dans lequel il ou elle serait amené à critiquer le régime de Kiev, à le mettre en cause pour tel ou tel fait, ou pire à faire connaître une faute ou un crime dont ce régime serait responsable. Les seuls reporters accrédités et protégés sont celles et ceux qui répètent les éléments de langage du régime en place. Autant s’éviter une telle humiliation.

Hélas, la rédaction de Libération n’a pas ses préventions. C’est pourquoi elle est totalement engagée en faveur du régime ukrainien, contre le régime russe. Les propos y sont souvent simplistes, caricaturaux, et nombre des faits, évoqués, discutés, dans des médias étrangers y sont totalement occultés. Le pouvoir ukrainien est composé de gentils et de héros, avec, à sa tête, le plus gentil et le plus héroïque de tous, Zelensky (alors qu’il est protégé par des services secrets dont ceux des Etats-Unis, et que, ainsi, il est absolument protégé), et le pouvoir russe est composé de méchants, barbares, criminels. Il va de soi que l’inversion de ce schéma est tout aussi ridicule.
D’Ukraine, des reporters reviennent, comme des témoins. Adrien Bocquet affirme qu’il a fait le chemin aller, et désormais retour, et qu’il est en capacité de témoigner.

Adrien Bocquet a des affirmations. Est-ce que nous reprenons à notre compte ses affirmations ? Non, parce que, comme déjà indiqué au début de cet article, une guerre, « moderne » est un chaos, et que les Etats concernés ont des intérêts, dont celui de mentir. Une partie de la guerre de notre époque consiste à produire du faux, et, en le rendant aussi crédible que du vrai, à créer une confusion de principe entre le vrai et le faux. Or la rédaction de Libération est, de ce point de vue, dans la même situation que nous : une situation d’incertitudes. Pourtant, cette rédaction prétend pouvoir affirmer catégoriquement qu’Adrien Bocquet, qui lui aussi affirme catégoriquement, au nom d’une expérience personnelle (« j’ai vu… »), est un menteur. Des crimes de guerre commis par les forces armées ukrainiennes ? Libération affirme, catégoriquement, qu’il s’agit de mensonges. Des crimes de guerre commis par les forces armées russes ? Libération affirme, catégoriquement, qu’ils sont certains. Ce sont les mêmes médias qui, en amont de la guerre américaine en Irak, affirmaient de manière catégorique que cet Etat détenait des armes de destruction massive. En répétant les assertions américaines. Jusqu’au jour où des dirigeants américains, si sûrs de leur impunité, ont reconnu publiquement qu’ils avaient menti.