« Indépendance-D » (I-D) (1) a commencé il y a deux mois et demi. Pour le développement professionnel de ce média, nous n’avons aucun horizon en terme de temps : celui-ci prendra peut-être corps dans 6 mois, un an, deux ans. D’ici là, nous aurons publié des entretiens (comme le premier, avec Maître Virginie Le Roy, avocate de la famille de Samuel Paty), des enquêtes, des nouvelles approches sur des sujets importants; la rédaction se sera constituée (nous en parlons dans les autres parties). Au coeur de notre pensée comme de notre démarche, il y a donc cette fameuse « indépendance », à propos duquel nous entendons être et absolument clairs et ne pas être pris en défaut. Pourquoi ? Avec « l’information non indépendante », celle-ci dit qu’elle l’est, indépendante, et ne dit pas pourquoi et comment elle ne l’est pas. Citer des exemples impose de faire un choix, tant il y a foule dans cette « servilité ». Ces jours-ci, un exemple saute aux yeux et aux oreilles : le cas de Patrick Poivre d’Arvor (PPDA), et ce qu’il a fait par et pour la première chaîne de télévision, cette « télé de maçons ». Beaucoup se demandent pourquoi et comment la direction de TF1 a pu à ce point soutenir contre vents et marées le présentateur du JT de 20 heures, bien qu’il ait multiplié les fautes, connues de leur part. Pourtant, la réponse est simple : il faisait parfaitement ce qui lui était demandé, ce que certains qualifient simplement par « servir la soupe », et il avait réussi à devenir une figure appréciée de celles et ceux qui regardaient chaque soir ce rendez-vous, tragique, de la parole d’Etat, officielle. On sait les objections à cette critique : ce journalisme, de préfecture(s), de Ministère(s), est légitime, au même titre que les autres. Sauf que, pour avoir un tant soit peu de crédibilité, ce journalisme-là prétend être un tant soit peu indépendant, alors qu’il ne l’est pas. Il y a donc, hélas, contrefaçon.
Mais il s’agit-là d’un journalisme grossier, et, heureusement « rare » – mais c’est celui qui est le plus bruyant. Le journalisme le plus important se trouve, encore, ailleurs : dans la presse écrite, quotidiens, magazines, médias en ligne. Mais qu’est-ce qu’il s’y fait lire ? Evidemment, le journalisme en France n’a pas attendu « I-D » pour faire connaître des enquêtes dignes de ce nom – parce qu’il y a, derrière, des heures de travail, de construction, réfléchie, de questionnements, d’entretiens. Mais même les médias de qualité peuvent décevoir, nous décevoir, décevoir des lecteurs, sans que les causes de ces déceptions soient, du point de vue journalistiques, intelligibles. Par exemple, le lectorat de Médiapart le dit régulièrement : ils ne comprennent pas la différence de qualité, de niveau, entre les articles qui traitent de sujets en France et les articles qui traitent de sujets à l’étranger. Dans le cas de « Libération », dont nous avons parlé à plusieurs reprises depuis nos débuts, l’absence de respect de plusieurs principes déontologiques frappe souvent, notamment en raison d’engagements sur des préférences politiques internationales. Lesquelles, si elles peuvent exister, doivent être néanmoins toujours pondérées, notamment en donnant la parole à des contradicteurs, ce que le quotidien ne fait pas. Mais, nous, nous ne sommes pas manichéens. Il ne s’agit donc pas de dire qu’il faut caricaturer le dit quotidien, comme si tout était à jeter. Mais nous restons interloqués sur le fait qu’ils ne mesurent pas ce qu’ils font et ne font pas. Avec d’autres, des publi-reportages sont déguisés en articles authentiques. Nombre de promotions, de produits de consommation, comme d’oeuvres artistiques, sont transformées en articles ou reportages, supposés, indépendants, alors qu’il s’agit purement et simplement de vendre. Dans un monde de l’omni-commerce, il est impossible de pas défendre un tant soit peu des produits et des oeuvres, puisqu’il y en a de bonnes, mais encore faut-il qu’elles le soient, et que la proportion de ce soutien à, soit mesurée. C’est surtout le « narratif » journalistique sur les sujets, les affaires, qui est décisif. Etant donné qu’il s’agit de faire référence à des faits, précis, il faut que les mots le soient aussi, et c’est souvent là qu’il y a déjà un déficit de rigueur considérable. D’autant qu’il existe des raccourcis qui s’expliquent par des préjugés ou une volonté de minimiser la présence et la portée d’un jugement, de jugements, pourtant décisifs dans l’énonciation. Ce narratif peut être un plagiat, d’une source cachée : un document officiel, un document publicitaire, un texte politique. Le fait de dissimuler qu’il y a un texte original, et que le texte du média est un palimpseste, constitue également une tromperie. Le choix des mots doit permettre d’éviter une reddition au choc des photos, parce que, contrairement à ce que l’on entend aussi souvent, jamais une photo ne dit plus de choses que la parole, orale, écrite, puisque celle-ci permet des précisions, uniques.

Ce « nouveau » journalisme doit, pour être indépendant, être déterminé par plusieurs conditions et obligations, dans la pratique elle-même, par la mise à distance des narratifs officiels et puissants, par la déclaration d’absence d’intérêts et d’engagements contraires aux principes déontologiques, comme par ses nécessités structurelles, le financement, les obligations légales, en fonction de la localisation du média, les engagements déontologiques et politiques.
(1) (ou Independance-D, quand l’accent aigu ne peut pas être exprimé)