Robespierre/Mélenchon : comparons les parcours et les volontés

Robespierre/Mélenchon : comparons les parcours et les volontés

Le 28 juillet 1794, Maximilien de Robespierre, ci-devant citoyen d’Arras, était, à son tour, guillotiné. Pour comprendre ce qui l’a emporté, et qui l’a emporté sur celui auquel ceux qui ont eu raison de lui ont attribué une « Terreur » que les historiens les plus sérieux en sont venus à le considérer étranger à son instauration et à sa gestion quotidienne, il faut s’intéresser à la « Convention thermidorienne », qui succède à la Convention. Les vainqueurs de Robespierre sont : la majorité dite « modérée » de l’assemblée, (montagnards dantonistes), les députés du Marais, avec Sieyès, Boissy d’Anglas, et des Girondins, qui avaient réussi à survivre, après les journées de mai et juin 1793 après lesquelles nombre d’entre eux avaient été poursuivis, arrêtés, ou étaient en fuite. Un renversement s’opère dans les mois qui suivent la fin juillet 1794 : ceux qui, entre la fin 1793 et la première moitié de l’année 1794, avaient été identifiés comme « suspects » et avaient été emprisonnés, sont libérés (alors que le discours courant sur et contre cette période affirment que tous les suspects ou leur immense majorité étaient condamnés et exécutés), à savoir des royalistes, des spéculateurs appelés « accapareurs », et inversement, des identifiés en tant que « révolutionnaires » sont arrêtés, voire massacrés (la commission populaire d’Orange). La jeunesse dorée française, parisienne, s’organise, et les « Muscadins » attaquent, tuent, des sans-culottes, comme si aujourd’hui, face aux Gilets Jaunes, nous avions vu des jeunes « de bonnes familles » venir en découdre (désormais, des « fonctionnaires » ont pu faire le travail sans avoir besoin du renfort d’une milice antisociale). Les dernières insurrections populaires ont lieu en avril et mai 1795, moins d’un an après la mort de Robespierre, et l’ordre social qui s’installe va durer. Mais de quel ordre s’agit-il, et quel rapport avec Mélenchon ? Un des symboles de la période révolutionnaire a été la mesure politico-économique dite du « maximum général », autrement dit d’un contrôle et d’une limitation des prix des marchandises. La très superficielle page Wikipédia consacrée à ce sujet affirme que « cette tentative d’économie dirigée (…) produisit des effets contraires aux résultats escomptés. Les paysans se mettant à dissimuler leurs récoltes pour ne pas avoir à les vendre à perte et les spéculateurs se précipitant pour acquérir tout ce qu’ils pouvaient, il en résulta une pénurie sans précédent aggravée par le fait que le blocage des salaires était, quant à lui, beaucoup plus facile à faire appliquer. Un rationnement fut organisé dans certaines villes, ainsi qu’un système de dénonciation. (…) De fait, cette taxation ne s’appliqua qu’au blé et permit l’approvisionnement de l’armée et des grandes villes soit environ 2 millions d’habitants en pain de qualité médiocre à prix abordables par la contrainte de réquisitions armées qui appauvrirent certaines campagnes. (…) La loi du Maximum général provoqua un mécontentement populaire qui fut un des facteurs de l’échec de l’insurrection de la Commune de Paris« . Ainsi présentée, ce serait le principe même de la loi qui serait devenue impopulaire, alors que c’est les limitations, voire la négation, de la loi, dans les faits, qui ont été impopulaires. Avec la « Convention thermidorienne », un décret est adopté pour abolir cette limitation et ce contrôle. La Convention thermidorienne assure la mise en place, dans la durée, des affaires, d’un capitalisme, étendu à la France et à ses colonies. A l’inverse de cette « infinitisme », Robespierre est un homme politique qui soutient des limites à toute chose : au prix, aux frontières de la France, à la puissance des fortunes; en somme, à l’accaparement des choses et des êtres. C’est cette volonté de limitation qui, fin juillet 1794, a été terrassée : ses vainqueurs ont pu écrire, bien avant d’autres, « no limit ». C’est le pendant, en négatif, de ce qu’ils appellent la « liberté ». Depuis plus de 230 ans, la politique « libérale » des Girondins/Thermidoriens domine la France. Le parti socialiste, comme nous en avons parlé dans l’article antérieur, hier, a apporté sa collaboration à cette domination.

C’est pourquoi, étant donné ces faits historiques, la candidature de Jean-Luc Mélenchon, son contenu pratique, programmatique, s’opposent à ce sens de l’Histoire, si rejeté par une majorité de Français depuis longtemps, et que le système représentatif français s’est entêté à leur imposer, malgré tout. Et en faisant cela, il revient vers Robespierre. Mais comme on dit que l’on peut être et que l’on ne doit pas être plus royaliste que le roi, est-ce que Jean-Luc Mélenchon est-il plus robespierriste que Robespierre ou, au contraire, moins ? Plus radical ou plus modéré ?

Les 694 propositions de « l’avenir en commun » sont présentées ici : https://laec.fr/sommaire. Les propositions sont rassemblées dans 5 thèmes majeurs : « Vivre libres et citoyens », « S’adapter au système de la Nature », « Unir pour bien vivre », « Humaniser les personnes et la société », « Ordonner le monde ». Dans le premier thème, « Vivre libres et citoyens », il manque, explicitement, un thème « robespierriste » : lutter, dans les principes comme dans les conséquences des mauvais principes, contre la « corruption ». Mais si ce thème n’est pas formulé explicitement, il l’est concrètement dans la partie intitulée « balayer l’oligarchie » dans laquelle une proposition vise, en tant que tel, le MEDEF, l’organisation patronale la plus influente en France (et à propos de laquelle le programme interroge et met en cause sa « représentativité » prétendue). Une autre partie du programme s’attaque aux « accapareurs » : dans « Partager la richesse », il est question de « mettre fin au pillage économique de la nation », « mettre au pas la finance », imposer aux banques de se mettre au service de « l’intérêt général », « définanciariser l’économie réelle », « annuler la dette publique », « faire la révolution fiscale » (en appliquant le principe de progressivité), « éradiquer la » »grande pauvreté » (« 10 millions de pauvres, 300 000 personnes sans domicile, des files d’attente alimentaires à perte de vue et une explosion du nombre d’allocataires du RSA. Cela ne peut plus durer. Notre société sera celle du plein emploi, où chacun perçoit un salaire pour son travail. Mais dès les premiers jours, un plan d’urgence sera mis en œuvre pour éradiquer la grande pauvreté. »).

Comme indiqué ci-dessus, la pensée politique de Robespierre est une pensée des limites, réelles ou à fixer. Cette pensée des limites prend corps dans le second thème « S’adapter au système de la nature » dans lequel la présentation indique que « Le capitalisme financiarisé épuise les humains et les écosystèmes. Construire une société de l’harmonie avec la nature suppose donc de rompre avec ce système. La pandémie de Covid-19 a montré la nocivité de la course au profit à tout prix et du grand déménagement du monde. Nos sociétés font face à une réalité : le changement climatique est commencé et il est irréversible. Il s’agit donc désormais à la fois de le freiner pour garantir la survie des sociétés humaines et de nous adapter à cette nouvelle donne climatique. Notre outil sera la planification puisque le marché et la concurrence ont montré leur incapacité à relever ces défis. » Face aux prétentions de la volonté libérale de tout privatiser, « Une minorité veut vendre au marché jusqu’aux biens les plus essentiels à la survie humaine. L’intérêt général humain exige de protéger dans la loi ces biens communs de l’humanité. C’est au peuple de contrôler démocratiquement leurs usages et leur protection. L’eau et l’air, qui permettent la vie, doivent être collectivisés. », et il s’agit là d’une nouvelle déclinaison du sujet et de l’importance des limites à fixer en fonction des limites réelles matérielles et des limites qu’une « richesse », individuelle ou familiale, peut prétendre disposer, sur et contre ces limites réelles. Contre l’absence de limites de la fortune des uns et de l’absence de limites dans la pauvreté des autres, Robespierre entendait, là encore, fixer des limites. « La plus grande partie de nos concitoyens – la plus grande partie – est réduite par l’indigence à ce suprême degré d’abaissement, où l’Homme, uniquement occupé de survivre, est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donné.«  Et la Constitution de 1793, que les Libéraux entendaient bien ne jamais appliquer, ce qu’ils ont, partiellement, réussi à faire pendant longtemps et encore aujourd’hui, précise : « Article 21. – Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler« . Le programme de Jean-Luc Mélenchon associe deux objectifs : le plein emploi, avec la garantie emploi, et « rétablir une assurance chômage protectrice ». Et pour les sans, actuels (sans domicile, sans revenu, sans suivi médical réel), JLM a affirmé vouloir loger tous les sans domicile et leur permettre de retrouver le chemin d’une vie sociale.

Il ne suffit pas de vivre dans une communauté humaine pour vivre « dans » l’humanité : « civilisation » et « barbarie » ne s’opposent pas radicalement, pas plus que « démocratie » et « dictature », puisqu’il est tout à fait possible de vivre dans un pays « civilisé », dans lequel la barbarie prend corps et déshumanise. C’est pourquoi la partie du programme intitulé « Humaniser les personnes et la société », est central dans ce programme. Là où le programme libéral peut se résumer à un seul objectif et un seul principe, « enrichissez-vous », le programme de Jean-Luc Mélenchon vise avant tout une « humanisation », c’est-à-dire à permettre à ce que, à nouveau, il soit agréable de vivre en France, par la civilité des moeurs, et, qu’il y ait enfin de l’éthique dans ce que Hegel appelait, pour chaque peuple, « l’ethos », les comportements. Dans cette partie, il y a la volonté d’aller vers une « République universaliste contre le racisme et les discriminations« , avec plusieurs propositions qui vont radicalement à l’encontre de ce qui se fait et a été décidé et voté ces dernières années (abrogation de la loi « séparatisme », ouverture des archives sur les guerres de colonisation/décolonisation, instituer le droit de vote des étrangers aux élections locales, limiter les droits et les pratiques violentes de la police).

La partie finale « Ordonner le monde » est construite autour de la notion de souveraineté nationale. JLM propose une « diplomatie altermondialiste ». Au sein de l’UE, et alors que l’Etat français est un Etat fondateur et majeur de l’UE, il propose de « désobéir à chaque fois que c’est nécessaire pour mettre en oeuvre notre programme », et, par exemple, de « cesser d’appliquer unilatéralement les normes incompatibles avec nos engagements écologiques et sociaux telles que la directive sur le détachement des travailleurs, les règles budgétaires, les règles de la concurrence, la libre circulation des capitaux ». Or, « désobéir » aux règles, objectifs, exigences, de l’Union Européenne, de la commission, c’est entrer en conflit avec l’UE. Nécessairement. Si le programme ne parle pas d’une sortie de l’UE par la France, cette intention générale, « désobéir », signifie, en pratique, et si elle est vraiment mise en pratique, une confrontation avec les autres pays européens, dont l’Allemagne, des menaces de sanction de la part de l’UE et de la commission, un bras de fer avec l’UE. Concrètement, cela signifie que ou le nouvel exécutif français parvient à entraîner les pays de l’UE dans des changements constitutionnels, organisationnels et de pratique, ou bien il n’y parvient pas, et de deux choses l’une : ou bien l’UE ne cède pas, et l’exécutif doit, pour maintenir ses décisions, décider d’une sortie de l’UE, ou proposer aux Français un référendum sur une sortie de l’UE, ou il se soumet, comme le gouvernement Tsipras a pu le faire quand il a mené un mini bras de fer avec l’UE. D’autant que JLM défend de sortir de l’OTAN (du commandement intégré puis « étapes par étapes » de l’organisation, sans que ce temps pris pour sortir soit expliqué), alors que l’OTAN constitue déjà, de fait, l’armée européenne, sous commandement américain.

Plus de 230 ans après le début du processus novateur français, on peut donc constater, conclure, que JLM est bien l’un des meneurs du parti « Montagnard », actuel, et qu’il est aujourd’hui l’homme politique dont la pensée et les intentions se rapprochent le plus de Robespierre. Robespierre est devenu Robespierre alors que les évènements tragiques se succédaient les uns aux autres. Il a eu 5 ans pour penser et agir, et disparaître. JLM aura été un professionnel de la politique dans la plus grande partie de sa vie, membre du parti socialiste, avant de le quitter et de fonder cette nouvelle matrice politique en France. Il y a quelques jours, il a été mis en cause par une certaine presse pour le fait qu’il est propriétaire d’un appartement à Paris. Mais ce qui importe, c’est qu’il n’a pas, à notre connaissance, détourné des fonds publics, payé un emploi fictif à un tiers, qu’il n’a pas été payé de manière non déclarée par une grande entreprise ou par un pays étranger pour tel ou tel service. Par son parcours, par les biens qui sont les siens, JLM n’est pas Robespierre, ni un nouveau Robespierre, mais il est l’un de ceux qui, aujourd’hui, font encore vivre le « parti des Montagnards », par l’actualisation des intentions de ce parti et par des ajouts, liés aux conditions, apports, spécifiques, de notre temps. Pour certains, le comparer à Robespierre sera considéré comme exagéré : l’Incorruptible sera, à leurs yeux, plus parfait que JLM. Mais Robespierre n’a jamais dirigé la France (et à fortiori, celle-ci entre 1793 et juillet 1794, lors de la « Terreur »), et il a même échoué dans ce projet. Pour d’autres, le comparer à Robespierre reviendrait à le diffamer parce que cela signifierait le lier à l’homme de la légende ténébreuse – alors qu’il s’agit d’un mythe propagé par les vainqueurs de Robespierre, lesquels, eux, furent de vrais assassins, et, souvent, les soutiens d’une autre et vraie Terreur, la « Terreur blanche », après 1794-95. Enfin, il y aura ceux qui diront que cette comparaison dit toute la vérité sur JLM, parce qu’ils le confondent déjà avec ce même Robespierre, accusé d’avoir été un dictateur sanguinaire, bien que, comme nous venons de le dire, cela ne correspond en rien à la vérité historique. Le problème français, c’est que Robespierre a été abattu, et, sur son cadavre et ceux de ses amis suppliciés, un pouvoir socialement violent s’est installé, lequel a couvert bien des crimes. Et ce pouvoir a su durer. JLM est face à ce mur, « girondin », « libéral », incarné par des médias, vendus à cette faction. Peut-il le faire tomber ? Veut-il vraiment le faire tomber ? S’il devait être élu, ce serait, pour lui et pour les Français, « l’heure de vérité ».

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