Samuel Paty aurait pu ne jamais être confronté à l’attaque de son assassin si… (troisième partie)

Samuel Paty aurait pu ne jamais être confronté à l’attaque de son assassin si… (troisième partie)

Les administrations qui avaient les moyens de prévenir l’attaque criminelle contre Samuel Paty étaient : le Ministère de l’Education Nationale, la police, donc le Ministère de l’Intérieur, mais aussi la police de la surveillance des menaces terroristes, le « Renseignement Intérieur ». Comment ont-ils pris connaissance des faits ? Comment les ont-ils évalués ? Quelles décisions ont-elles prises, et n’ont pas prises ? Le 8 octobre, la principale prend contact avec le Rectorat :

« À la suite de l’appel de la mère d’une élève de la 4ème 5, la veille mercredi 7 octobre, et d’un message
anonyme d’indignation envoyé sur la boîte mèl du collège dans la nuit, la principale prend la mesure de
l’ampleur des réactions que le cours dispensé le lundi 5 octobre par Samuel Paty provoque. Aussi, le jeudi dès 8 h 35, elle alerte, par mèl, le conseiller technique départemental établissements et vie scolaire. Les échanges avec le père de l’élève et la découverte de l’identité de l’accompagnateur, qui s’est présenté comme représentant des imams de France, lui confirment que le retentissement donné à ce cours peut prendre une dimension plus inquiétante encore. À ce stade sa crainte se porte sur un risque de manifestations voire d’intrusions au sein du collège et de réactions d’insultes ou de manifestations hostiles à l’égard de Samuel Paty. En l’absence de réponse au message adressé au conseiller technique départemental établissement et vie scolaire, dès la fin de l’entretien avec le père de l’élève, la principale décide d’appeler directement le DAASEN. Il lui indique percevoir des éléments sous-jacents et potentiellement à risques. Il lui demande un écrit (immédiatement envoyé par la principale) et lui indique qu’il convient de :

– Faire une remontée dans l’application « Faits établissements » ;
– Prévenir le référent police de l’établissement de façon à ce qu’une présence policière autour du
collège puisse être organisée et prendre contact avec le renseignement territorial des Yvelines
(cet interlocuteur local précisera à la principale que l’accompagnateur est connu et repéré
comme un activiste) ;

– Se mettre en relation avec le référent académique laïcité (par ailleurs IA-IPR EVS) afin,
notamment, de préparer les éléments de langage à destination des familles.
Le DAASEN, qui a eu pendant une année scolaire la responsabilité de la mission référent laïcité, a indiqué à la mission avoir pris immédiatement la mesure de la gravité de la situation. D’une part, la cheffe
d’établissement, connue pour son professionnalisme, ne prend l’attache de la DSDEN que lorsque la
situation l’exige. Il perçoit donc la nécessité de lui apporter une aide. D’autre part, une recherche sur
internet lui confirme que l’accompagnateur est un activiste connu. En outre, le contexte national (annonces présidentielles sur le séparatisme la semaine précédente dans les Yvelines, procès des auteurs des attentats de 2015) l’incite à la plus grande vigilance. Il alerte, par un courrier en importance haute, l’équipe académique « valeurs de la République » en mettant en copie la cheffe de cabinet de la rectrice, chargée de la communication, pour qu’une veille soit instaurée. Cette dernière alerte la conseillère sécurité pour que le renseignement territorial soit associé. Un courriel est aussi adressé à la cellule ministérielle de veille opérationnelle et d’alerte (CMVA). Le message insiste sur la présence de l’accompagnateur. L’accent est mis sur les tensions liées au fait d’avoir proposé aux élèves de confession musulmane de sortir de la classe. Le signalement ne comporte pas de demande
d’intervention, mais engagement est pris de tenir la CMVA informée. Le DAASEN provoque une réunion téléphonique avec le directeur de cabinet de la rectrice et le référent académique laïcité.

Au cours de cet échange il est convenu que :
– le problème concerne avant tout le fait que les élèves de confession musulmane aient été
invités à sortir du cours ;
– le sujet pédagogique sera traité ultérieurement, lors de la réunion de la cellule laïcité
du 3 novembre à laquelle la principale sera conviée ;
– l’urgence justifie une intervention immédiate et doit se porter sur la nature et l’enchainement
des réactions, les risques qu’ils induisent.

Parallèlement, le DASEN est informé par le DAASEN de toutes les démarches et les a approuvées.
Le référent académique laïcité, tout en associant les autres membres de la cellule laïcité, appelle la
principale et confirme sa venue au collège dès le lendemain. La principale indique que Samuel Paty a eu
l’occasion d’expliquer sa démarche devant la classe en présence de la CPE. Le référent académique informe le coordonnateur du pôle national « valeurs de l’École de la République » du signalement et un suivi est demandé. La référente académique radicalisation est également informée.
La conseillère sécurité de la rectrice est mise en copie du signalement auprès de la cellule ministérielle de veille opérationnelle et d’alerte (CMVA). En milieu d’après-midi, la principale renseigne l’application « faits établissements », en classifiant les faits comme étant de niveau 3, c‘est-à-dire « d’une extrême gravité », et en indiquant bien les deux aspects de la situation, à savoir d’une part la démarche adoptée par le professeur (qui, à rebours de ses intentions, a choqué des élèves musulmans en leur proposant de sortir de cours s’ils pensaient pouvoir être offensés par une caricature), d’autre part la présence aux côtés d’un parent en colère d’un individu connu comme un militant islamiste cherchant à exploiter la situation. À l’inverse, dans le cadre prévu par l’application, la principale indique comme « victimes signalées » « groupes d’élèves » et comme « auteur présumé » « personnel de l’établissement ». La menace de la démarche parentale est donc bien perçue et explicitement exprimée ; en revanche, la classification révèle que le fait retenu à ce stade est celui de la sortie de classe des élèves. Conformément aux instructions reçues, la principale prend contact avec le référent police de
l’établissement, une présence en uniforme est mise en place dans et à l’extérieur de l’établissement
. »

De ces éléments, il ressort que le Rectorat est construit sur une bureaucratie importante, avec une multiplicité de référents, « saisis » ou qui « saississent ». La réunion avec le directeur du cabinet de la rectrice perçoit le problème en tant que problème éducatif et social, en raison des réactions des parents d’élèves, perçoit une « urgence » qui justifie une « intervention immédiate » mais concentre cette intervention sur la venue du « référent laïcité ». Si, comme l’affirme le rapport de l’Inspection, « tous les canaux de remontée d’information et d’alerte sont mobilisés », la nature même de leur mobilisation interroge, puisque, à aucun moment, la sécurité de Samuel Paty n’apparaît comme étant un enjeu, et une priorité. Le danger n’est pas perçu. Le vendredi 9, « Dès le milieu de matinée, la conseillère sécurité, avec l’accord de la rectrice et de la DSDEN, transmet le signalement effectué auprès de la CMVA au renseignement territorial, à destination du chef du secteur de Saint-Germain. Le nom de l’accompagnateur apparait. Par retour de mèl, le renseignement territorial accuse réception du signalement. À 15 h 17, la conseillère sécurité est informée qu’une plainte contre Samuel Paty a été déposée le jeudi 8 octobre par les parents de l’élève pour « diffusion de l’image d’un
mineur présentant un caractère pornographique
» (sic). » Autrement dit : la focalisation est faite sur ce qui est défini par ceux qui ont mis en cause Samuel Paty, une image « pornographique », et, là encore, nullement sur les menaces. Le lendemain, « Le samedi, la principale transfère le lien au DAASEN et a un échange téléphonique avec lui. Le DAASEN se dit inquiet du fait que le professeur soit désormais publiquement nommé. Il décide d’appeler personnellement Samuel Paty sans tarder pour l’avertir et lui apporter son soutien au nom de l’institution. Dans sa conversation téléphonique avec le professeur, le DAASEN l’invite à aller déposer plainte dès le lundi avec le chef d’établissement. Dans la perspective de le faire bénéficier de la protection fonctionnelle des agents publics, il lui demande de faire un rapport sur la situation (ce que Samuel Paty n’aura pas le temps de faire). La conseillère sécurité est avertie de la diffusion de la vidéo et de son contenu par le DAASEN. Le dimanche soir, le directeur de cabinet de la rectrice appelle le DAASEN pour préparer le dossier de protection fonctionnelle et demande de transmettre dès que possible les documents nécessaires à sa constitution à la DRH du rectorat. » La protection fonctionnelle n’a donc pas été activée ou décrétée de manière conservatoire : elle doit être attribuée, après qu’un dossier soit rempli, et le rapport de l’Inspection constate que Samuel Paty n’en a pas eu le temps. De leur côté, les enseignants de l’établissement ont, eux, perçu les dangers. Le lundi, « Des professeurs expriment leur malaise, leur inquiétude, voire pleurent, des tensions se manifestent entre certains. Des professeurs évoquent la possibilité d’exercer leur droit de retrait. » La même journée, ces craintes se confirment : « Parallèlement, dans la matinée, la principale est informée d’un message laissé sur le répondeur du collège le samedi matin : un correspondant anonyme, disant appeler de Montpellier, profère des menaces à l’encontre du professeur et du collège. Durant la journée, le collège reçoit par ailleurs différents appels, des appels anonymes d’une part, mais aussi, d’autre part, des appels de parents, moins d’une dizaine, qui se disent inquiets et veulent avoir des informations sur la situation« . A l’occasion d’une réunion entre la direction et les enseignants en fin de journée, « Les réactions et les questions des enseignants portent ensuite essentiellement sur les questions relatives à
la sécurité de l’établissement et expriment leur sentiment d’inquiétude pour le collège. La crainte d’une
attaque terroriste n’est à aucun moment formulée, mais des inquiétudes s’expriment sur le fait que
l’établissement ou ses abords puissent être menacés. La crainte procède, en particulier, de l’appel à
manifester devant le collège lancé sur les réseaux sociaux et des intrusions dans l’établissement qui
pourraient se produire à cette occasion. La principale souligne que les services de police sont prévenus et qu’une surveillance renforcée de l’établissement est mise en place
« . Dans le même temps, « La conseillère sécurité de la rectrice relance le service du renseignement territorial (RT) en transmettant les
liens des vidéos. Le RT accuse réception de ces éléments et précise qu’il a alerté le commissariat de
Conflans sur la sensibilité de cette affaire. À la suite de cette alerte, la conseillère sécurité reçoit un
message du commissariat qui indique que les liens entre le référent éducation nationale et la cheffe
d’établissement sont de bonne qualité et que des patrouilles de sécurisation sont mises sur le secteur,
d’abord avec des véhicules sérigraphiés, puis avec des véhicules banalisés.
 » La menace est interprétée comme étant générale, vague, et pas ciblée sur Samuel Paty, alors que c’est lui que la première vidéo et les menaces ciblent explicitement. D’ailleurs, le lendemain, une nouvelle vidéo diffusée sur Youtube est découverte. Le mercredi, Samuel Paty se rend au commissariat de Conflans avec la principale, et, il faut le répéter, « elle y indique que le collège « reçoit des menaces téléphoniques où clairement on laisse entendre de s’en prendre physiquement à M. Paty et au collège si nous ne prenons pas des mesures disciplinaires à l’encontre de cet enseignant » » Or, bien que le renseignement territorial ait pris contact avec ce commissariat, que la principale de ce collège confirme qu’il y a des menaces physiques explicites, qui sont des menaces dont un fonctionnaire de police ne peut pas, à priori, définir la gravité (agression ou tentative de meurtre), Samuel Paty sort de ce commissariat avec des plaintes enregistrées, mais AUCUNE protection, alors que la principale de l’établissement en a compris, de son côté, la nécessité. De son côté, « le service du renseignement territorial de son côté appelle tous les jours pour avoir des nouvelles sur la situation du collège.« . Et nous le verrons après, le renseignement territorial ne perçoit pas les menaces contre Samuel Paty, parce qu’il ne les cherche pas ! Il se contente d’un suivi passif, en « veille ». Du côté du Rectorat, « Alors qu’il s’interroge sur les suites données par la police et la Justice aux dépôts de plainte, le DAASEN reçoit le jeudi 15 octobre un appel téléphonique du directeur des sécurités directeur adjoint de cabinet du préfet, qui lui demande un point de situation sur le collège. Le DAASEN lui indique que si au niveau du collège toutes les démarches nécessaires ont été accomplies avec notamment le double dépôt de plainte, l’affaire a sûrement pris une autre tournure avec la diffusion des vidéos sur les réseaux sociaux et il insiste pour un suivi attentif de cette affaire par les services du ministère de l’intérieur. Par SMS, le directeur des sécurités l’informera un peu plus tard qu’un signalement a été fait auprès de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Yvelines concernant le double dépôt de plainte des personnels du collège du Bois d’Aulne. » Un fonctionnaire du Rectorat perçoit que la menace, indéterminée, continue de peser et pourrait même avoir augmentée avec la diffusion des vidéos sur Youtube et les réseaux sociaux, mais il n’en conclut pas que la menace pourrait aller jusqu’à la préparation d’une attaque, et le directeur des sécurités, directeur adjoint du cabinet du préfet, n’en vient pas à cette réflexion et à cette hypothèse, se contentant de confirmer que « l’information circule ». Nous avons des responsables, informés, surinformés, mais qui ne se rendent pas compte de ce qui se passe…

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