Chaque grand évènement collectif est la conséquence de l’association, volontaire comme involontaire, de dizaines, centaines, milliers, d’individus, dont certains sont, parmi tous, les plus « décisifs » – on dirait aujourd’hui des « influenceurs ». Avec notre publication d’hier consacrée à John P. O’Neill, nous avons pu voir qu’il a pu être un individu influent, via le FBI, mais qu’il a échoué à l’être de manière décisive sur ce qui pourtant préoccupait sa conscience : cette menace qu’il pressentait et qui s’est concrétisée sous la forme des évènements du 11 septembre 2001. Avec « les hommes de l’ombre », lesquels sont aussi des femmes, il y a souvent la satisfaction d’être « influents », déterminants, dans le plus grand secret. Avec « Alec Station » (surnom donné à cette unité par référence au prénom de son cadre dirigeant, Michael Scheuer), la CIA a mis en place, fin janvier 1996, une unité dédiée à Al-Qeada, à Ben Laden et à ses lieutenants.
Au commencement, l’effectif des membres de la CIA qui faisaient partie de cette unité était d’une dizaine de personnes. La montée en puissance d’Al-Qaeda se manifestait par ses premiers attentats, préparés en amont pendant des mois, voire des années. C’est ce qui se révélera avec le 11 septembre 2001, des actions menées par des cellules dormantes, avec des individus envoyés très en amont au sein même des Etats-Unis. Le fonctionnement de cette unité, ses relations avec le FBI, la NSA, furent rendues plus difficiles en raison de conflits inter-personnels, tant avec John P. O’Neill, jugé très agressif, qu’avec Richard Clarke, chef de l’anti-terrorisme. Mais, logiquement, c’est le chef de cette unité, Michael Scheuer, qui a été le plus influent, et ce d’une manière négative, avec Alfreda Frances Bikowsky, son bras droit. Bikowsky, qui a commencé sa carrière dans la CIA dans une unité dédiée à l’Union Soviétique, avait été mutée dans ce service, en raison de ses connaissances de la langue arabe. Quand, en raison de ses propos comme propositions, jugés excessifs par ses supérieurs (par exemple, Scheuer proposait de bombarder massivement plusieurs sites d’entraînement djihadistes, pour s’assurer de tuer Ben Laden, parce qu’il n’était pas capable de savoir exactement où il se trouvait), il fut écarté de la direction de cette unité, et Bikowsky fut, elle, maintenue. La commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis, les enquêtes journalistiques américaines des années 2000 et 2010 l’ont établi : dans ses fonctions, Bikowsky a pu travailler honnêtement et sérieusement à ses missions mais a également décidé, selon des critères personnels, de ne pas partager des informations de très grande valeur, notamment à l’attention du FBI, mais aussi à la direction générale de la CIA. Privées de ces informations, le FBI n’a pas su que des agents d’Al-Qaeda étaient arrivés sur le sol américain, alors que la CIA en avait connaissance. Interrogée sur ses responsabilités, ses décisions, par la commission nationale sur les attaques terroristes du 11 septembre, elle a explicitement menti en affirmant qu’elle avait transmis des informations au Bureau.
Ces actes, qui pouvaient être évalués par l’incrimination la plus grave, « la trahison », n’ont jamais été ni poursuivis, ni même sanctionnés. Après 2001, Bikowsky a continué sa carrière à la CIA et a même bénéficié de promotions. Non content d’avoir une responsabilité personnelle dans l’ensemble des défaillances individuelles et collectives de ces administrations, Bikowsky a participé activement aux orientations de la CIA dans les années qui ont suivi, notamment dans sa prétention à pouvoir utiliser des actes de torture sur des détenus, la plupart du temps kidnappés illégalement, retenus dans des centres secrets. Elle aurait contribué à la traque et à l’assassinat de Ben Laden. Mais il n’est pas possible de parler de Bikowski sans parler de son mari : Michael Scheuer. Ils forment ensemble un binôme dont la nocivité aura été rare. Aujourd’hui, Bikowski a officiellement quitté la CIA et a crée son site de « coaching de vie », pour femmes, qu’elle justifie par ces mots :
« Je voulais aider d’autres femmes comme vous à comprendre que, quels que soient votre point de départ, l’étape de votre vie ou les défis que vous devez relever, le monde a besoin que vous soyez la personne la plus authentique possible pour vivre votre objectif et faire la différence. Vous avez été créé pour une raison, après tout. C’est en vous aidant à puiser dans cette femme déterminée, confiante et intrépide que j’interviens. J’aide les femmes comme vous à allumer leur passion, à vivre leur projet et à faire la différence.«