A la tête d’un Etat, il est très rare qu’un « réformateur », réel, le soit, contre cet Etat lui-même, contre son existence même. La particularité de l’URSS résidait dans l’articulation entre des nationalités, des peuples, et une logique économique générale, non capitaliste. Avec la politique dite de la « transparence », qui concernait autant le passé de l’URSS (la période dite stalinienne), que son présent, les « nouvelles libertés » se confondaient avec les critiques et les attaques contre le système politique, notamment de la part de personnes appartenant à une autre République socialiste soviétique que la Russie, par exemple dans les pays baltes, au sein desquelles se trouvaient des anciens soldats ayant fait partie de la grande armée européenne, sous commandement allemand, qui avaient attaqué ensemble l’URSS à partir de 1981. La « transparence » a permis de révéler leur existence et leur haine du système qu’ils vivaient comme une torture. Nombre d’entre eux, de leurs enfants, furent les interlocuteurs privilégiés des Etats occidentaux. L’URSS autorisait donc non seulement sa critique, mais son hyper-critique, par la remise en cause de son existence même, de ses principes. Comme si, aux Etats-Unis, les dirigeants américains avaient incité les citoyens américains à s’exprimer contre le système même des Etats-Unis, contre la Constitution, alors que nous savons que la « liberté d’expression » américaine, réputée absolue, connaît des limites drastiques, dès lors que sont en cause les fameux « principes ». L’autre champ de « réforme », la « restructuration », ou « pérestroïka », eut pour objet de développer le capitalisme au sein même de l’URSS, par des mesures inspirées par les principes et les pratiques des Etats capitalistes, avec la privatisation partielle des terres agricoles, le soutien au libéralisme dans plusieurs dimensions (le petit commerce, les indépendants, l’autonomie des entreprises). Les « réformes » ne consistaient pas en des évolutions, adaptées et originales, mais dans une imitation pure et dure des logiques propres aux pays capitalistes. La « culture économique soviétique » étant inadaptée, par principe et pratique, à cette mutation, nombre d’entreprises d’Etat connurent des difficultés, et au lieu de susciter une hausse des performances, porta atteinte aux dites productions, dans leur quantité et leur qualité – et cette « restructuration »-déstructuration connut une accélération et une aggravation pendant les années 90, après la disparition de l’URSS. De telles décisions et évolutions, un pourcentage infime de celles-ci aurait conduit n’importe quel secrétaire général de l’URSS à être arrêté et envoyé quelque part. Afin de ne pas être écarté, Gorbatchev parvient à faire nommer des « réformateurs » à ses côtés. C’est dans l’affaire allemande qu’il se révèle définitivement : la « réunification allemande » ne pouvait être un sujet simple, comme l’idéalisme nationaliste le prétendait (les Allemands étant tous frères, ils devaient être réunis, comme ils l’étaient jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale). Et ce sujet ne pouvait être simple à la fois, en raison de cette Histoire (le nazisme) qu’en raison de la constitution d’une Allemagne explicitement anti-nazie (la RDA), à côté d’une Allemagne de l’Ouest ambigüe, étant donné le nombre de ses dirigeants et cadres, impliqués dans. Au début des années 90, des manifestations ont lieu en RDA tous les lundi, pour exiger des « libertés de circulation ». Quand il s’agit de manifestations qui vont dans le sens des Etats occidentaux, ceux-ci les proclament comme étant toujours « spontanés », « libres » – alors que pour les manifestations importantes qui se produisent en leur sein, ils n’hésitent pas dans la répression, dans toutes ses formes. Face à cette pression sociale qui n’est pas de grande ampleur (le pays n’est pas paralysé), le délitement de la RDA va, comme en URSS, commencer à sa tête, et il est facilité par le fait que Gorbatchev a fait comprendre aux dirigeants de la RDA que l’URSS ne viendrait pas à leur secours. Il laisse faire. En moins d’un an, la RDA disparaît. Ceux qui l’ont construit, après 1949, ont donc été trahis par certains de leurs « héritiers », mais les décisions de Gorbatchev ont pesé de manière lourde et décisive dans cette situation. Et c’est entre 1989 et 1991 que Gorbatchev va donner l’estocade à l’URSS. Gorbatchev a pu déclarer à l’occasion d’une conférence dans une Université : « L’objectif de ma vie était la destruction du communisme … ma femme m’a soutenu pleinement et compris avant même […] pour réussir à trouver des camarades, y compris des Yakovlev et Shevardnadze.« . Son grand-père aurait été fier de son petit-fils.
