Des armes à feu, les citoyens américains auraient à faire, feraient, un choix ontologique, selon qu’ils entendent, vivre, faire, avec, ou non, ce qui serait fondé dans la Constitution par une « liberté ». Mais cette interprétation de la présence des armes dans la vie américaine est elle-même américaine. Or, on le sait, pour comprendre des peuples, leurs goûts, leurs pratiques, leurs préférences, il ne faut pas se fier à leurs propres explications pour y parvenir, parce que, bien souvent, leurs « explications » ont des choses à cacher. Loin de relever d’une « liberté », l’existence même des armes s’inscrit dans une « nécessité » – ce qui est imposé et qui s’impose. Non pas une nécessité au sens où les citoyens des Etats-Unis n’auraient pas le choix de faire sans, comme le font l’immense majorité des peuples sur cette planète, lesquels s’en portent bien mieux, mais dans le sens où ces mêmes citoyens pensent qu’ils ne peuvent pas faire autrement, parce qu’ils ne veulent pas faire autrement, et ce dans la mesure où ces armes représentent un moyen de domination et de contrôle des autres. Il ne faut donc pas s’étonner que à la grande « messe » annuelle de l’association pro armes NRA, ce soit ce discours qui soit martelé : nous ne pouvons pas nous passer des armes, parce que nos armes nous permettent de nous… Et c’est seulement à la fin de cette phrase que le mensonge s’avance : il ne s’agit pas de se « protéger », mais de pouvoir agresser, blesser, tuer. Et c’est exactement ce qui s’est passé, ce qui se passe.
Les colons européens qui ont mis les pieds sur cette partie nord de cet immense continent l’ont fait, en faisant suivre la nouvelle armurerie européenne, les fusils à poudre. Entre le 17ème siècle et le 19ème siècle, ces fusils, diaboliquement (pour user d’une référence qu’ils adorent) perfectionnés, leur ont permis d’assassiner des milliers ou des millions de Native People, mais aussi de bisons, et de bien d’autres animaux qui remplissaient les grandes plaines, libres, de ce pays-continent. Les mêmes fusils vont donner aux indépendantistes américains les moyens d’affronter les tuteurs anglais, et d’avoir le dessus sur eux, comme le film « The Patriot », avec Mel Gibson, en a été l’illustration, dans un cercle vicieux infernal, entre une Histoire sempiternellement violente, et un cinéma hollywoodien, itou – un an avant que les attentats du 11 septembre 2001 ne suscitent une nouvelle fureur américaine, funeste….
Les armes ne sont donc pas des « objets » parmi d’autres de l’être-américain au monde, mais ses signes, symboles, moyens, constitutifs. Le développement industriel a aussi concerné la production des armes, à commencer par les fusils, puis d’autres armes, au fur et à mesure que les Etats-Unis devenaient un nouvel Etat européen et qu’il suivait la voie de ses tuteurs, anglais et français, la voie de l’impérialisme. Les deux guerres mondiales, européennes, ont contribué au financement de l’accélération de son industrialisation, et au développement de ses productions en armes diverses, au point que les entreprises concernées sont devenues des parties mêmes de l’Etat fédéral américain. Grâce à ces armes, les Etats-Unis sont devenus le pays le plus impérialiste, agressif, au monde, puisqu’il prétend pouvoir décider de ce qui se passe sur chaque continent. Cet être-armé doit donc être omniprésent, et il l’est, tant au sein des Etats-Unis qu’en dehors – avec le plus grand nombre de bases étrangères, de porte-avions, d’avions à longue portée, de drones, etc.
De ce point de vue, les deux jeunes tueurs de « Columbine », Eric Harris et Dylan Klebold, sont de « purs américains ». Leur particularité a été de s’en prendre à des proches ou à des jeunes gens qui leur ressemblaient – ce qui s’explique sans doute par leur haine envers eux-mêmes et envers leurs parents, envers leur pays. C’est la particularité de ces « patriotes », de pouvoir passer d’un « amour », un culte excessif, à sa négation, une haine, toute aussi excessive. La Youtubeuse Sonya Lwu raconte clairement et précisément les faits, décrit les coupables de, étudie les conditions et les conséquences de, et, à l’occasion de ces récits, rappelle que, alors qu’ils exécutaient leur plan criminel, le seul jeune auquel l’un d’eux s’en soit pris, verbalement, violemment, était un jeune lycéen noir. Cette tuerie a eu lieu un 20 avril, un jour de référence pour certains, puisqu’il s’agit de la date anniversaire d’Adolf Hitler. Eric Harris a, dans des écrits, fait référence aussi au nazisme. Or le nazisme n’est pas étranger aux Etats-Unis, puisque les dirigeants de ce parti, puis de cette Allemagne convertie au racisme d’Etat, admiraient les Etats du Sud des Etats-Unis. Il est donc temps d’avoir une perception rigoureuse de l’être-américain, lequel n’est pas, par accident, de temps en temps, violent, mais, intrinsèquement, ontologiquement, violent, que cela soit par l’usage d’armes à feu, de couteaux, etc, mais aussi par « l’économie », le cinéma, la politique internationale.